"Les humains" détruisent la Terre...Vraiment ?

Photo by Benny Jackson on Unsplash


Aujourd'hui je me suis retrouvé avec une bande dessinée qui m'a laissé un peu perplexe et pensif... (vous pouvez la regarder ici: Bande dessinée)

En elle on peut y voir un scientifique (représentant la communauté scientifique) qui affiche une conclusion catégorique : "Nous détruisons la Terre". A sa droite, un fonctionnaire du gouvernement lui demande " Pourriez-vous reformuler cela dans des termes vagues, imprécis, ambigus et indirects que tout le monde puisse comprendre ?"

Paradoxalement, ce que je voudrais essayer de vous montrer est que le fait de dire "Nous détruisons la Terre" représente déjà une notion vague et imprécise des problèmes environnementaux.

Pour ceux qui sont familiarisés avec le journalisme environnemental ou bien avec des articles scientifiques autour de l'environnement, vous auriez pu constater que la plupart du temps la responsabilité des problèmes environnementaux est attribuée à un sujet générique et indéterminé : "l'Homme", "les humains", "l'humanité" ou tout simplement "Nous". 

En linguistique, on appelle cela un "nom massif" (Stibbe, 2015). Un nom massif est un concept abstrait qui généralise et homogénéise un ensemble d'entités. D'autres exemples de noms massifs sont les suivants: nature, environnement, biodiversité et ressources naturelles. La fonction des noms massifs est d'incorporer des nombreux éléments en un seul mot, de maniere à pouvoir évoquer tous ces éléments en même temps. Par exemple, lorsqu'on dit "la nature" on évoque en même temps les animaux, les plantes, le ciel, le soleil, les organismes microscopiques et ainsi de suite. De ce fait, la finalité des noms massifs consiste à englober plutôt qu'à examiner.  

Ainsi, à l'aide des "noms massifs" nous pouvons faire des affirmations extrêmement générales, telles que "les humains dépendent de la nature", qui sont tout à fait véridiques, mais elles ne nous disent rien sur les éléments spécifiques de la nature dont nous dépendons ni dans quelle mesure. Ainsi, les noms massifs ne sont tout simplement pas faits pour identifier, leur but est de représenter le général au lieu du particulier.

De la même manière, l'utilisation de noms massifs comme "les humains" ou "Nous", ne nous fournit aucune forme d'identification des acteurs sociaux responsables des problèmes environnementaux, comme pourraient l'être certaines catégories socio-économiques ou bien des entreprises.

D'autre part, parler des "humains" ou de "nous" comme les responsables, situe instantanément en arrière-plan l'existence de mécanismes institutionnels et de pouvoir qui représentent des facteurs clés à l'origine des problèmes environnementaux, comme par exemple le système capitaliste, le système financier et le lobby des entreprises multinationales dans les domaines de la justice et de la législation. 

En outre, l'utilisation régulière de ces noms massifs occulte des dimensions d'(in)justice environnementale. Par exemple, on perd de vue le fait que les problèmes environnementaux sont attribuables notamment aux cultures modernes-industrielles, et non pas aux cultures indigènes, qui vivent plus ou moins en harmonie avec leurs milieux naturels.

Mary Schleppegrell a conduit une étude où elle a constaté que ces sujets génériques "Nous" ou "les humains" conduisent à se représenter des solutions selon un "modèle de responsabilité partagée", où toutes les personnes seraient jugées également responsables des problèmes environnementaux. Par ricochet, ce modèle de responsabilité partagée conduit à son tour aux individus à se représenter des solutions notamment au niveau individuel. 

En outre, la plupart du temps ces solutions encadrent une vision qui qualifie l'individu comme sujet-consommateur au lieu de l'individu comme sujet-politique. La conséquence ? Les solutions d'acheter bio, recycler ou quitter la viande animale, sont des actions qui sont manifestement plus encouragés que des actions politiques, comme rejoindre une organisation en faveur de la nature, se manifester, participer dans une collectivité locale, intenter un procès aux responsables, entre autres.



En guise de conclusion, on a pu constater que les médias et les scientifiques seraient selon toute apparence une force active qui oriente les réactions des individus face aux problèmes environnementaux. Cette orientation va dans le sens d'un "modèle de responsabilité partagée" où nous sommes tous - en tant que consommateurs - également responsables des problèmes environnementaux.

Bien entendu, la recommandation que nous pouvons tirer (tant les enseignants comme les scientifiques et journalistes) consiste à éviter ces formulations génériques et indéterminées. Cela implique, bien entendu, d'oser nommer les responsables, qu'ils soient humains, corporatifs et institutionnels.

Références 

Schleppegrell, M. J. (1997). Agency in environmental education. Linguistics and Education9(1), 49-67.
Stibbe, A. (2015). Ecolinguistics: Language, ecology and the stories we live by. Routledge.
         

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