« L'exploitation des ressources naturelles » en cause


par Rodrigo Cáceres

Depuis quelques jours je me suis mis à la tâche de faire une analyse écolinguistique des manuels scolaires de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) en collège, avec des résultats assez surprenants.


Dans un manuel de sixième, les relations entre les humains et la nature sont un sujet très peu abordé. Toutefois, lorsque le manuel en parle, ces relations à la nature sont racontées à travers la notion de « l'exploitation des ressources naturelles ». Apparemment, l'une des attentes transversales du programme de SVT au collège est la compréhension des « enjeux de l'exploitation des ressources naturelles ».

Ce que je voudrais essayer de vous montrer est que cette notion est loin d'être neutre, on va illustrer comment elle chosifie la nature en même temps qu'elle symbolise une vision strictement utilitariste de la nature.

En premier lieu, parler de « l'exploitation des ressources naturelles » crée un cadre particulier pour comprendre les relations humain-nature, qui évoque l'idée selon laquelle « la nature est un panier de ressources » (Gudynas, 2010). Dans ce cadre, la nature est évoquée comme un ensemble de ressources, qui peuvent être extraites, manipulées et utilisées pour servir les humains. 

Regardons cela de plus près. Premièrement, la notion d’exploitation renvoie à « utiliser quelque chose à son avantage » (Larousse). A son tour, le verbe utiliser renvoie à « rendre utile ; faire servir à une fin ». Cela nous situe tout de suite dans un cadre utilitariste, où notre relation avec la nature est jugée unidirectionnelle : la nature est au service de l'humain et jamais l'inverse. 

Ensuite, la notion de « l'exploitation des ressources naturelles » évoque un champ sémantique particulier, composé des concepts suivants : ressources, exploitation, exploiter, surexploiter, stock, abondance, raréfaction, épuiser, épuisement, extraire, extraction, industrie extractive, économie extractive, développer, développement, consommer, consommation, utiliser, usage. Tous ces concepts sont intimement liés et ensemble ils façonnent le cadre de pensée où la nature est un ensemble d'objets à manipuler, développer, exploiter et extraire afin de servir les humains. Ces concepts ont une présence centrale dans le discours actuel des sociétés modernes.

Afin de mettre ce cadre en perspective, il existe des notions alternatives pour conceptualiser les relations humain-nature. Les concepts suivants sont des exemples : harmonie, réciprocité, relation, coopérer, coopération, complémentaire, complémentarité, équilibrer, équilibre, équité, équitable, échanger, échange. Ces concepts appartiennent à un champ sémantique alternatif, qui est irreconciliable avec le champ sémantique de « l'exploitation des ressources naturelles ».

Par ailleurs, le concept de « ressources naturelles » peut être analysé avec la notion linguistique de « la trace » (Stibbe, 2015). La trace fait référence à un élément du discours qui évoque le monde naturel d’une manière qui l’occulte et le situe en arrière-plan, en laissant une faible trace plutôt qu'une image vive. 

Dans notre cas par exemple, on pourrait estimer que « quelque part » dans le concept de « ressources naturelles » - mais difficilement repérables - il y a des arbres, des oiseaux, des abeilles, des renards ; des sujets intentionnels qui font leur vie.
D’un autre côté, le concept de « ressources naturelles » peut être aussi analysé comme un « nom massif ». Un nom massif est un concept abstrait qui généralise et homogénéise un ensemble d’entités. Arran Stibbe (2015) affirme que « lorsque les arbres, les plantes et les animaux sont représentés dans des noms massifs, ils sont effacés, devenant de simples tonnages des choses ». 

Quand on y pense, parler de « ressources » s’articule presque automatiquement avec des compléments de quantité : « ressources abondantes » ; « ressources rares » ; « ressources épuisées ». Pour cette raison, les jugements moraux associés aux « ressources » se font en termes quantitatifs. C'est-à-dire que quand les ressources sont abondantes c’est bien, et quand les ressources s’épuisent ce n’est pas bien. 

De la même façon, « exploiter les ressources naturelles » devient la situation normale et acceptable, et « surexploiter les ressources » devient un acte moralement condamnable. Ce faisant, la « trace » occulte est le fait que lorsqu'on exécute des activités « d’extraction des ressources naturelles », des animaux et des plantes sont en train d'être tués, en même temps que leurs milieux de vie sont détruits.

Par ailleurs, pour nombre de personnes la nature est belle, elle mérite du respect, en même temps qu'elle est une source d'inspiration. Lorsqu'on parle de « ressources », ces relations esthétiques-émotionnelles sont annulées. Sémantiquement, il ne peut y avoir une « ressource belle », une « ressource qui mérite le respect » ou encore moins une « ressource qui inspire ». De cette manière, le cadre de pensée où « la nature est une collection de ressources » masque la possibilité d'avoir des relations esthétiques-émotionnelles vis-à-vis de la nature.

En conclusion, parler de « l'exploitation des ressources naturelles » traite la nature comme un objet qui peut être manipulé afin de servir à l’humain (Gudynas, 2010). Cette notion nous situe dans une relation non-réciproque vis-à-vis de la nature, où nous utilisons les services qu'elle nous apporte mais nous ne devons rien lui rétribuer. En plus, en réduisant la nature à un objet, on oublie le fait qu'elle est composée d'êtres conscients qui veulent persévérer dans leur existence.

Ainsi, l'éducation nationale apprend aux collégiens d'une grande partie de la France que la façon essentielle de se relier avec la nature consiste à l'exploiter à notre volonté. Ce type de langage reproduit et renforce l'une des valeurs centrales aux racines de la crise écologique actuelle.

Pour une alternative à cette notion, je vous invite à lire cet article.

Références 

Gudynas, E. (2010). Imágenes, ideas y conceptos sobre la naturaleza en América Latina. Cultura y naturaleza, 267-292.
Stibbe, A. (2015). Ecolinguistics: Language, ecology and the stories we live byRoutledge.

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