Comment ne pas penser grâce à l'histoire du colibri
Dans des posts précédents, nous avons examiné plusieurs mécanismes linguistiques et leurs conséquences sur la façon dont nous pensons les problèmes environnementaux. D'une part, dans un post (lien ici) nous avons étudié l'action de passiver une phrase, c'est-à-dire reformuler une phrase à la voix passive de sorte que la cause responsable soit effacée : Les écosystèmes se dégradent ; L'Amazonie brûle ; La planète se réchauffe ; Les espèces sont menacées d'extinction, etc. en sont des exemples. Dans toutes ces phrases, celui ou ce qui est responsable de l'action est absent ou inexistant, ce qui bien entendu ne permet pas d'identifier la ou les causes responsables. A son tour, il est évident que si on n'identifie pas la cause d'un problème, il est fort probable qu'on ne pourra pas le résoudre.
En général, l'absence de causes des problèmes écologiques nous amène a vouloir résoudre les conséquences de ces causes primordiales : Sauver le climat, la planète, etc. Il faut noter que dans le journalisme environnemental actuel la formulation des phrases à la voix passive est un mode d'écriture prédominant.
En général, l'absence de causes des problèmes écologiques nous amène a vouloir résoudre les conséquences de ces causes primordiales : Sauver le climat, la planète, etc. Il faut noter que dans le journalisme environnemental actuel la formulation des phrases à la voix passive est un mode d'écriture prédominant.
D'autre part, dans un autre post (lien ici) nous avons examiné comment l'utilisation des sujets génériques et indéterminés comme "Nous/On", "les humains" et "l'humanité", dans des phrases telles que "Nous détruisons la Terre" nous amène à nous représenter des solutions notamment par le biais d'actions individuelles et non pas des actions au niveau institutionnel ou politique. Ces sujets indéterminés ne permettent pas non plus d'identifier des acteurs sociaux réels ou bien des institutions qui seraient responsables des problèmes environnementaux.
Chose étonnante, les conséquences de ces deux mécanismes linguistiques sont matérialisées dans une histoire qui a eu beaucoup de succès dans le milieu écologiste français durant les derniers décennies, celle du colibri :
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : "Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! " Et le colibri lui répondit : "Je le sais, mais je fais ma part."
Dans cette histoire le problème est bien entendu l'incendie de forêt. On pourrait normalement se demander: quelle est la cause de cet incendie, ce ou celui qui est responsable de brûler la forêt ? Hélas, l'histoire n'identifie rien qui ait provoqué l'incendie, le responsable est donc absent ou inexistant.
De la même manière, on peut se demander : quelle est la modalité d'action mise en place pour résoudre le problème de l'incendie ? La réponse fournie par l'histoire est l'action individuelle, c'est-à-dire le petit colibri qui fait sa part en jetant ses gouttes d'eau.
Nous avons donc les mêmes conséquences en ce qui concerne l'absence ou inexistence des causes responsables du problème ainsi que l'individualisme au niveau des solutions.
Cette histoire - ainsi que les mécanismes linguistiques décrits - sont "mauvais à penser" dans la mesure où ils nous amènent à nous représenter de manière erronée les problèmes environnementaux, leurs causes et les modes pertinents d'action pour les résoudre. La crise environnementale ne peut simplement pas être résolue par le biais d'actions individuelles, puisque, en tant qu'humains, nous sommes des êtres culturels, inscrits dans une maille d'institutions, de rôles sociaux, des visions du monde, qui déterminent les comportements individuels. Ces institutions, tels que l'opposition entre Nature et Culture, l'industrialisme, le capitalisme, le patriarcat, le cadre conceptuel "la nature est une ressource", sont celles qui structurent les pratiques du monde moderne, et les histoires comme celle du colibri ne permettront jamais d'identifier ces structures institutionnelles qui sont à la base de la crise écologique actuelle.
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