Comment les responsables de la crise écologique sont effacés du discours (Partie I)
Par Rodrigo Cáceres
Commençons avec un petit rappel de grammaire élémentaire. Dans la langue française (mais aussi en Espagnol et en Anglais) il existe plusieurs façons d'effacer un actant dans une phrase. L'actant correspond à l'agent qui exécute l'action exprimée par le verbe. Je vous montre un exemple :
« Elle a cassé le verre » ⇒ « Le verre s'est cassé »
Dans la phrase à gauche, on peut identifier l'actant « Elle » qui exécute l'action. L'un des moyens de supprimer un actant consiste à passiver une phrase. (Passiver signifie reformuler une phrase dans la voix passive). Ainsi, dans la phrase à droite, on peut remarquer que le sujet « Elle » a été effectivement effacé. Dans cette phrase, on peut en déduire que l'une de deux choses suivantes s'est produite : soit « d'une manière ou d'une autre » le verre a été cassé, soit « quelqu'un » a dû casser le verre. Cependant, on ne peut pas savoir laquelle de deux a eu lieu. De ce fait, ce ou quiconque est le responsable de l'acte a disparu.
Avec cet outil très simple, on peut faire des analyses du discours environnemental actuel. Pour rendre les choses très concrètes, regardons une affirmation faite par le président de l'IPBES (Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) Sir Robert Watson, issue d'il y a quelques jours concernant le nouveau rapport de l'IPBES :
« La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ».
Premièrement, trouvons la phrase passivée. Là voici : « La santé des écosystèmes [...] se dégrade ». Pareillement qu'avec notre exemple du verre, on peut constater qu'aucun agent n'exécute l'action (dégrader), de façon que rien n'est responsable de la dégradation : l'actant est absent. On pourrait en déduire que les écosystèmes doivent avoir été détériorés « d'une manière ou d'une autre » ou bien par « quelqu'un », mais on ne peut pas vraiment savoir.
Dans la phrase suivante (Nous sommes en train...) un nouveau actant apparaît : « nous ». A bien y penser, le lien entre les deux phrases faites par M. Watson n’est ni explicite ni direct, car la seule chose qui les relie est ce sujet « nous » (surligné en rouge). Si ce « nous » commun était absent, on pourrait même considérer les deux phrases comme relativement indépendantes et non liées.
Ainsi, ce n’est que si nous voulons lier les deux phrases que nous devons tout d’abord déduire que la « santé des écosystèmes » est équivalente à ce qui est représenté par les « fondements » (surlignés en bleu). Par la suite, seulement si nous acceptons cette inférence, nous pourrons alors en déduire que « nous » est l'actant responsable de la dégradation de la santé des écosystèmes.
Cette façon de parler peut être véritablement problématique car, comme on peut le constater, les phrases utilisées sont remplies de liens indirects et demandent des déductions plutôt que des interprétations littérales. C'est la responsabilité d'un communicateur tel que le président de l'IPBES de transmettre des messages explicites et directs sur la situation actuelle.
Plus important encore, j'ai déjà évoqué des problèmes très importants et des conséquences négatives lorsqu'on responsabilise des sujets génériques et indéterminés tels que « nous », « les humains » ou « l'humanité » comme causes de problèmes environnementaux. Vous êtes les bienvenus à lire à ce sujet ici.
Plus important encore, j'ai déjà évoqué des problèmes très importants et des conséquences négatives lorsqu'on responsabilise des sujets génériques et indéterminés tels que « nous », « les humains » ou « l'humanité » comme causes de problèmes environnementaux. Vous êtes les bienvenus à lire à ce sujet ici.
De mon point de vue, je ne pense pas vraiment que ce genre de langage (passiver des phrases et utiliser des noms massifs) soit utilisé intentionnellement pour dissimuler les responsables ou pour individualiser la culpabilité des problèmes environnementaux. Il me semble que ces formes de langage se sont enracinées dans la manière dont les scientifiques et les journalistes pensent, parlent et écrivent au sujet des questions environnementales au sens large.
Si les gros titres des journaux diffusent seulement des phrases passivées telles que « Un million d'espèces sont menacées d'extinction », les causes responsables seront systématiquement effacées du discours.
Si les gros titres des journaux diffusent seulement des phrases passivées telles que « Un million d'espèces sont menacées d'extinction », les causes responsables seront systématiquement effacées du discours.
Références
Schleppegrell, M. J. (1997). Agency in environmental education. Linguistics and Education, 9(1), 49-67.
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